Mères sans toit, récemment sur Infrarouge

Souhila, l'histoire d'une femme, d'une mère.
Souhila, l'histoire d'une femme, d'une mère.

Pourquoi ce film ?

Je voulais faire connaissance.

En ce début d’année 2014, alors que j’arpente les couloirs de la maternité Delafontaine pour rencontrer celles que l’on nomme pudiquement « mamans en errance », Sarah Gerard-Hirne, assistante sociale de 30 ans, me tend ses courbes et ses statistiques. Sur l’année 2013, plus de 160 femmes n’ont eu d’autre solution que de faire appel au 115 le numéro d’hébergement d’urgence des sans-abris, et trouver refuge dans une chambre d’hôtel, leur nourrisson sous le bras.

C’est 60 de plus que l’année précédente et c’est presque une mère tous les deux jours.

A ce chiffre-là, s’additionnent encore toutes les autres, qui ont préféré refuser l’hôtel, ont trouvé un accueil provisoire chez un ou une amie, chez un marchand de sommeil, dans un squat ou une caravane, quand ce n’est pas dans les halls des urgences ou des gares.

Dans le même temps, la mortalité infantile dans le département continue sa courbe ascendante inquiétante, passant de 5 à 5,9%o, selon les dernières données de l’INED et de l’INSEE. C’est presque deux fois plus que la moyenne nationale (3,5 %o).

Des enfants de moins d’un an décèdent en Seine-Saint-Denis plus que partout ailleurs en France. Et de plus en plus de mères se retrouvent à la rue pour faire grandir leur enfant. Mais ces alertes ne semblent inquiéter personne. Seules les assistantes sociales de la maternité Delafontaine, motivées que par leurs propres convictions, tiennent des statistiques qui montrent l’ampleur du phénomène.

Mais qui sont ces mères condamnées à l’errance dès la sortie de la maternité ? D’où viennent-elles ? Partout ailleurs en France, on nous parle de plus en plus de cas sur le terrain, à la PMI du 10ème arrondissement, juste à côté du bureau de notre agence en plein centre ville, le phénomène est connu. Même son de cloche dans les départements du Nord de la France. Mais aucune étude ne les suit, ne s’intéresse à elles.

Les mères sans toit ont cette particularité qu’elles tombent dans l’oubli ou la complication des chiffres statistiques. Puisqu’elles ne sont pas codifiées comme une catégorie en soi. On connaît le nombre d’accouchements chaque jour en France, on ne sait jamais ce que les mères deviennent. En revanche l’Observatoire du Samu Social de Paris, responsable du 115, confirme que les demandes des familles, ou des femmes seules avec enfant ont explosé depuis 10 ans. Les associations Interlogement, Médecins du Monde, Solipam, entre autres, parlent, elles, de « bombe à retardement ».

Puisque les chiffres ne disent rien d’elles, de leur parcours, de leur existence aux yeux des institutions françaises, je voulais leur redonner un visage.  

A Saint-Denis, Aubervilliers, Epinay-Sur-Seine, dans les maternités, hôtels du 115, centre d’hébergement d’urgence ou association,  je suis partie à leur rencontre, des femmes sans papiers, des Françaises aussi. J’ai recueilli leurs témoignages anonymes, leurs histoires si différentes et pourtant toujours avec un puissant dénominateur commun.

« Vite ! lui trouver à manger et un toit…

Vite ! qu’il se fasse des amis…

Vite ! qu’il soit scolarisé… »

Elles faisaient toutes front, montraient une dignité face à l’épreuve, souvent au nom de leur enfant à venir, ou qui venait de naître. Les pères avaient disparu ou restaient dans l’ombre. Préférant parfois la rue à la domination d’un homme, à la violence conjugale, au mariage forcé ou à l’esclavagisme, ce sont elles, et elles seules, qui luttaient pour faire une place à leur nourrisson au sein de la société française.

J’ai attendu plus d’un an avant de convaincre l’une d’entre elles de sortir de l’anonymat.

Souhila a été la première femme à accepter ma caméra.

Elle n’avait pas peur, elle avait fait le choix de venir en France, sans papiers, au nom de ses enfants, elle était fière de leurs bonnes notes à l’école. Dans son sillage, Bénédicte et les autres se sont senties plus fortes. Ensemble, elles ont eu le courage de vaincre la peur d’une expulsion, briser le tabou de leur précarité et me montrer leur combat quotidien.

Souhila a été la seule à accepter l’idée d’un film au long cours.

Un film qui raconterait son destin et celui de toutes les autres.

Anne Richard