René Carmille, un hacker sous l’occupation, récompensé deux fois

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UN BEAU PALMARÈS :  Ce Film, réalisé par la lauréate du concours "Graine de doc" 2021, Youssr Youssef, 25 ans, a reçu la Mention du jury Terres d'Histoire(s) au FIGRA 2022 et une Étoile de la SCAM 2022.

 

Entre collaboration et résistance, confronté aux premiers enjeux modernes de la collecte de données en masse, la trajectoire étonnante de René Carmille n'a encore jamais été racontée... Son héritage est pourtant majeur, les questions qu'il soulève le sont tout autant. 

Le film est réalisé par Youssr Youssef, fraîchement diplômée de l'école de journalisme de Science-Po et de l'École nationale de la statistique, fondée en 1942 par Carmille. Intriguée par le parcours de ce précurseur pourtant peu connu, elle décide alors d’enquêter sur le sujet, qui va résonner pour elle avec nombre de questions contemporaines sur le Big Data et les données personnelles.

 

Sous l’Occupation, le polytechnicien René Carmille est le précurseur de l'usage massif des données en France : c'est lui qui a mis en place et dirigé le Service national de statistiques (SNS) qui deviendra plus tard l'INSEE, c'est aussi lui qui a inventé notre numéro de sécurité sociale.

Carmille se passionne pour un nouvel outil : la mécanographie, l’ancêtre de l’informatique, qu'il développait dans l'armée avant la guerre. Avec ces machines capables de trier les données gravées sur des cartes perforées, saisies par les milliers d'opérateurs qu'il a recrutés au SNS, Carmille multiplie les fichiers sur la population française. Nom, prénom, âge, adresse, profession, ou données du grand recensement de 1941, c'est la toute première fois que sont constitués des fichiers informatiques qui listent de manière nominative des millions de Français. Des fichiers que Carmille peut croiser pour en extraire des données précises... au risque de les voir servir la politique de collaboration menée par Pétain. Il est très vite confronté à des questions éthiques quant à l'usage de ses machines et fichiers, notamment par le Commissariat général à la question juive.

Mais en parallèle, son service, créé très officiellement au nom de la modernisation de l'État français de Pétain, poursuit officieusement un but résistant : à la demande d'un petit groupe d'officiers français de Vichy qui refusent la défaite - certains formeront plus tard l'ORA, Organisation de la résistance armée - Carmille hacke ses propres fichiers. Il programme en cachette ses machines pour détourner clandestinement des centaines de milliers de données et constitue en 1942 un fichier secret de 300 000 combattants en zone libre. Des hommes mobilisables, capables de participer à la libération de la France, le jour venu. Mais avec l'occupation de toute la France par les nazis, en novembre 1942, le projet devient caduc. Carmille reste à la tête de son importante administration, mais se met alors au service d'un réseau résistant lyonnais, Marco Polo, à qui il fournit des informations et des faux-papiers destinés à Londres. Trahi en 1943, il passe six mois à la prison de Montluc avant d'être déporté. Il mourra à Dachau en janvier 1944 et recevra la médaille de la Résistance à titre posthume.